Le médecin malade

Jung, dans son livre « Fundamental questions of psychotherapy » évoque en 1951 et pour la première fois le terme de « médecin blessé ». Cette notion reprend le mythe de Chiron, centaure blessé que ses souffrances durables avait amené à être le meilleur des médecins, et le père de la médecine en même temps que le maître d’Esculape.

Platon lui même affirmait que «les plus habiles médecins seraient ceux qui… n’étant pas eux-mêmes d’une complexion saine, auraient souffert de toutes les maladies» .

Cette conception est sans doute une explication partielle à la souffrance des soignants, affection universellement reconnue, et responsable d’un taux d’épuisement professionnel important, le Burnout Syndrome, voire d’un taux de suicides anormalement élevé dans la population médicale. Cette explication parmi d’autres (le dilemme éthique, la blessure narcissique et la sensation d’échec permanent face à la mort du patient) ne peut faire oublier l’ampleur du problème.

C’est précisément pour ce soignant en souffrance qu’est née il y a quelques mois l’ APSS.

L’APSS

L’Association Pour les Soins aux Soignants est la fille naturelle des fonds d’action sociale de la CARMF et du Conseil National de l’Ordre.

Visant à promouvoir toutes les actions de prévention en matière de pathologie psychique et addictive chez nos confrères, à en envisager la prise en charge médicale et sociale, à favoriser l’ouverture de centres de soins dédiés à ces malades particuliers, l’APSS regroupe autour de ses créateurs tous les syndicats médicaux , dentaires et infirmiers, tous les ordres professionnels, les fédérations de l’hospitalisation privée et publique.

Nous a rejoint un assureur historique des médecins (Le groupe Pasteur Mutualité) .Elle compte même parmi ses membres le médecin conseil National de la Caisse d’assurance maladie, au titre d’observateur.

Un projet global

Le projet de l’ APSS a une vocation globale.
Le parcours d’un médecin alcoolique, par exemple, est assez stéréotypé aujourd’hui. Isolé, plongé dans le déni de sa propre souffrance (il n’est pas aisé de passer du rôle de soignant à celui de soigné), il aura connu l’alcool comme soutien à une vie épuisante physiquement et nerveusement, puis comme compensation dès lors que la satisfaction au travail ne sera plus présente.

Dès la maladie installée, il se heurtera à la désaffection de la clientèle , puis aux premiers conflits disciplinaires. Dès lors, l’Ordre aura la possibilité, après expertise, d’autoriser la poursuite de l’exercice, au risque d’exposer la clientèle à un danger potentiel. Ou d’appliquer l’interdiction d’exercice, mort sociale immédiate du médecin.

Celui ci viendra alors grossir les rangs des bénéficiaires des indemnités journalières, et très probablement ceux des invalides plus tard, si le suicide n’a pas été le baisser de rideau du drame. 42% des invalides de la CARMF le sont d’ailleurs pour des motifs psychiques ou addictifs, avec un taux de retour à l’emploi extrêmement faible.

L’APPSS voudrait modifier tout cela. A commencer par la prévention, dès l’Université ( ¾ des médecins addictifs l’étaient déjà lors de leurs études, selon une étude finlandaise).

Puis par la sensibilisation et le dépistage précoce grâce à un service de médecine préventive libérale , comme pendant à la médecine du travail hospitalière.

L’étape suivante pourrait être la modification du code de déontologie, avec l’introduction de l’obligation déontologique de soins : l’injonction thérapeutique n’a pas vocation à être une cœrcition supplémentaire, mais une mesure intermédiaire autorisant la poursuite de l’exercice avec obligation d’un suivi et de soins.

Le contrat thérapeutique

Sur cette base même pourrait s’appuyer le « contrat thérapeutique », sur le modèle de nos voisins catalans.

Contre l’acceptation de soins précoces et efficaces en établissement labellisé par l’ APSS, contre l’acceptation d’un suivi médical étroit et d’un parrainage prolongé, le CNOM pourrait accepter la poursuite de l’exercice professionnel, alors que la CARMF serait disposée à envisager le paiement d’indemnités journalières sans délai de carence et dans une période d’aide à la reprise de l’activité après hospitalisation.

Ce fonctionnement implique la mise en place de procédures sécurisées respectant l’anonymat total des malades (une des causes du refus de se soigner ), et suppose une formation des personnels soignants aux soins à cette population particulière. Il s’agit encore d’assurer la budgétisation des structures dédiées aux soignants.

Une triple ambition

Tout cela semble immensément lourd et pourtant nous avançons plus vite que nous ne l’imaginions, tant le problème semble désormais évident et crucial. Déjà, plusieurs établissements dispersés sur la France accueillent des soignants malades et ont accepté l’idée d’une formation des médecins. La première formation de ce type eu lieu en Mars 2010.

On l’aura compris, cette action répond à une vision démographique et économique : comment ne pas laisser sur le bord du chemin une telle population de praticiens formés et compétents, en période de pénurie annoncée ? Comment ne pas faire peser sur les caisses de retraite le poids lourd de malades et d’invalides qu’on aurait réussi à soigner ?

Elle répond aussi à un impératif de santé publique : Pourrait on durablement laisser croître le risque sur la qualité des soins d’un état psychique altéré des soignants ?

Surtout cette action répond à une évidence humaine qui ne peut laisser insensible les médecins :
Comment aider et soigner au mieux nos confrères souffrants ?